Asphyxie entre amis

Invité

Mme de Rochefort venait de passer difficilement le seuil de la boutique en incinérant Andreï du regard. Ses yeux globuleux de carpe coie, semblaient l'accuser d'avoir volontairement réduit l'encadrement depuis la semaine dernière, plutôt que d'assumer son embonpoint à faire pâlir un flambi. Dindon de l'aristocratie française émigré depuis les attentats, elle avait hebdomadairement recours a ses services d'une façon pour le moins déconcertante. Marié dans la fleur de l'age à un homme tout aussi grotesque que son postérieur, elle connaissait maintenant les joies du trifouille buisson avec un jeune chauffeur sous payé, tout en supportant le dévouement sans faille de son époux envers le devoir conjugale. C'est là que le caïnite entrait en scène chaque semaine, en lui préparant une liqueur de nénuphar blanc, aux effets narcotiques et anaphrodisiaques quelle mélangeait à outrance au bourbon du mari. Le pauvre bougre tombait raide chaque soir, l'engin aussi réactif qu'un octogénaire, pendant que Madame mettait le feu à la banquette arrière de la Bentley. Elle dégouttait Andreï au point qu'il entretenait soigneusement une distance de sécurité de 60 centimètres avec le comptoir qui dès lors semblait lui appartenir à jamais, et prenait soin de n'entrer en contact sous aucun prétexte avec les effluves de vieille transpi qu'elle disséminait. Mettez vous seulement deux secondes à la place d'un vampire agressé par un gigot avarié et vous comprendrez. Le blondinet lui tendit expressément la fiole contenant la préparation et fit rapidement glissé la monnaie dans la caisse à l'aide de sa manche et la raccompagna de loin jusqu'à la porte, se promettant de la faire livrer dorénavant. La paupiette quittant son champ de vision, il consulta l'horloge murale, 15h20, toujours pas de sbire en costard, ni d’enveloppe kraft à son attention , le contrat ce faisait attendre. Andreï avait souscrit un engagement auprès de la mafia il y a maintenant
quatorze ans qui avait considérablement bouleversé son commerce, passé d'assassin-botaniste freelance comme il se plaisait à dire à tueur à gage mafieux surprotégé. En effet contre l’exécution d'une a deux " victimes collatérales" , il avait un mastodonte perso assigné à résidence pour sa protection et des fonds pour renouveler ses stocks. Ce qui ne l’empêchait évidement pas d'avoir un fusil à pompe chargé sous la caisse et une dague au pied. La paranoïa d'Andreï n'avait plus de limites depuis quelques années et le retard d'une mission devenait un complot sanglant ou même les vieillards rongé par l'arthrite qui lui commandaient des tisanes étaient des taupes. Pour rompre la chaîne infernale de l'angoisse il prit la très sage décision de se préparer un « petit remontant » entendez par là whisky double laudanum. Andrëi sortit une carafe de sous le comptoir improvisé mini-bar contenant une décoction brunâtre de pavot somnifère , un mini shaker, un verre carré et La bouteille, The Whisky irlandais pur malt soixante ans d'âge . Trois quart de whisky pour un tiers de teinture d'opium le tout brutalisé façon cocktail barman pour émulsifier le tout dans un glouglou dès plus discret. L'alcool lui brûla l’œsophage dans un soupir de contentement manifeste.

[Assassin]

Il les enchaînait tous, en ce moment, le cher Nolahn. Les missions. Il n'y avait rien de pervers dans le mot « mission », n'est-ce pas ? Ce n'était pas comme si l'on parlait du dernier mec qu'il s'était tapé entre deux voitures brûlées et qu'à la fin de leur joyeux saute moutons, l'assassin lui avait ouvert la gorge. C'en était tellement excitant... Rien qu'en y repensant, le brun ricanait. Dommage pour ce pauvre bout de chou. Quel âge avait-il déjà ? Sûrement une bonne vingtaine d'années. Peut-être plus, peut-être moins. Qu'est-ce qu'on s'en fichait, de savoir l'âge du dernier joyeux lurons que s'était fait Nolahn ? Au moins, il avait pris son pied et c'était là l'important. L'autre, il s'en foutait royalement. Mais le sang qui coulait de la gorge de sa victime était vraiment magnifique... Un clair de lune éclairant cette mare de sang, la rendant éclatante d'une vie que Nolahn avait pris. Si l'infant eût été photographe, pour sûr qu'il aurait photographié son œuvre !

Pourtant, Nolahn Verity était un homme très... pris. Quelle touche d'humour. Mh. Tout ce qu'il y avait à dire, c'était que la mafia déballait des missions de six pieds de long et qu'il fallait s'accrocher pour tout suivre à la lettre. Mais jamais, oh non, jamais l'assassin n'avait failli à sa tâche. Il n'avait échoué qu'une seule fois dans sa vie, cette fois où il était devenu vampire, mais jamais il n'avait regretté cette nuit, cette transformation... Cette vie qu'on lui avait offerte. Il n'avait jamais revu celui qu'il l'avait mordu et avait donc du survivre comme il l'avait pu. Autant dire que Nolahn avait été un vrai déchet pendant plusieurs mois, si ce n'était plusieurs années. Débauche, drogue, alcool... Tout y était passé, jusqu'au jour où il goûta le sang d'un humain. Là, avec le sang coulant agréablement dans son œsophage, rechauffant le corps voué à la débauche, Nolahn pris conscience de sa vie offerte. Et comme une pure coïncidence, la mafia l'engagea quelques mois après cette soudaine prise de conscience.

Le brun venait de recevoir de nouveaux ordres, qui lui parurent bien simplet à côtés de ceux qu'on lui avait assigné jusqu'à présent. La mafia avait-elle pitié des pauvres assassins surmenés ? Quelle douce intention que voilà. C'est donc dans un pouffement de rire sadique un peu vide que l'ex-myope sortit de chez lui, veste noire toujours présente, cheveux noués et lunettes sur le nez.

La journée devait sûrement être bien avancée, mais le temps importait peu le vampire. Surtout pour la mission qu'on venait de lui transmettre. Il avait en effet tout son temps devant lui. Ses pas les menèrent pourtant bien vite à sa destination de départ : Le redlight district. Nolahn aimait bien, cet endroit. Il s'était beaucoup amusé à chopper deux trois personnes par ici. Et ne décrivons pas la nuit folle qu'ils avaient passé. Si sa mémoire était bonne, un humain s'était fait littéralement explosé la rondelle par l'infant lui-même tout en suçant le poireau d'un autre gus. Pauvre chéri. Ca a du faire mal.

Discrètement, comme lui avait appris son métier, le vampire se faufila et entra dans ce qui apparaissait être une boutique du nom de "Vlivanie Belladona". Là, il haussa un sourcil derrière ses montures noires, puis frissonna violemment. Pas de surprises majeures quant à la présence ici. Vampire. C'était le mot. Avec une forte odeur en prime, de l'alcool ?

- Bonjour.

Toujours très calme, ce petit vampire là, hein. Calme, posé, tout ce qui va avec... L'assassin discret et efficace par excellence.